8 - Scalp et boules de mômes

9 décembre - Et merde... (Le moment où ça a dérapé)

LE CHAFARD

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Mes petites loutres en sucre,

Désolée, j'ai laissé passer un peu de temps cette fois-ci. Il m'en fallait pour digérer toutes les nouvelles avant de t’en parler. Car nous avons enfin rencontré l'oncologue. Une espèce de vieux beau tout plein de cheveux, qui a commencé la séance par : "Alors, dites-moi ce qu'internet vous a appris !"

Ambiance.

Je me doute qu'il doit faire face à pas mal de patient.e.s un peu au bord de la panique et donc qui font leurs propres recherches, mais... peut-on les en blâmer ? Je veux dire, est-ce que c'est si incompatible que ça avec l'empathie ? Allez, accordons-lui le bénéfice de doute. J'imagine qu'à la longue, les "oui, mais sur internet, huile_de_pépin89 a dit que..." ça doit être relou.

Mais revenons à nos moutons, en l'occurrence la suite des événements pour ma pomme.

Tout d'abord, lundi, je me fais à nouveau opérer…

Pour poser la chambre implantable dans laquelle sera ensuite posée ma perf pendant les séances de chimio. Une opération en ambulatoire (mais en anesthésie générale) pendant laquelle on va me tripoter la veine cave. Ça reste bénin malgré tout. Tellement, que je vais gérer ma journée comme une grande avec un taxi ambulance.

Ensuite, la première chimio aura lieu le vendredi de la même semaine (le 16 pour ceux et celles qui jouent au loto…) Comme indiqué la dernière fois, les séances se diviseront en deux cures : 3 de FEC 100, réputé pour faire pisser rouge, couper l'appétit et fatiguer un peu (doux euphémisme pour parler de l'effondrement des globules et du massacre des cellules de l'estomac…) Ah, et accessoirement, ça fait tomber les cheveux aussi. Yeah.

... je vais perdre mes tifs, putain !

J'ai beau eu me dire que j'étais prête psychologiquement, mais là, comme diraient tous les Gérard du monde à l'apéro : c'est au pied du mur que l'on voit le mieux le… oui, bon tu l’as. C'est censé survenir entre le 5° et le 10° jour après la première séance. Du coup, j'ai décidé de me raser le crâne, probablement ce week-end d'ailleurs (si j'ai assez de courage) (et de copines) (et de Mojitos), car j'ai peur de ne pas être suffisamment en forme après la première injection. Et je ne veux surtout pas subir cette épreuve-là. J'ai besoin de reprendre un peu de contrôle sur tout ce qui m'arrive. Dire que je viens de passer 6 mois à perdre 10 kilos histoire de retrouver des relations sereines avec mon miroir, et que je vais finir avec la tête de Monsieur Propre… Tsss ! (Attention, le premier qui ose me dire que ça va repousser, je lui envoie mon scalp par la poste façon Don Corléone !)

Ensuite, le toubib nous a parlé du risque de stérilité.

Ce n'est pas un 100% sûr et certain. Mais le risque est quand même là. Aussi nous a-t-il conseillé une préservation de fertilité. Des injections d'hormones dans le ventre tous les jours pendant deux semaines pour ensuite à nouveau passer sur le billard pour un prélèvement d'ovocytes. Tout ça pour avoir la joie, dans 5 ans, de partir dans cette folle aventure qu'est la PMA.

Ah oui, ça, c'était l'autre nouvelle kikou LOL du jour : je suis interdite de grossesse pendant les 5 prochaines années. Là, tu te dis, bah elle n'aura pas encore 40 ans, Benoît à peine 45, ça se fait encore. Mouais. Le truc, c'est que nous sommes allés voir un (connard d'âne bâté de) spécialiste à Toulouse. Le type nous a reçus, avec je ne sais même plus combien d'heures de retard, évidemment sans excuse, pieds sur le bureau, Mac sur les genoux. (Encore un petit bijou d'empathie celui-là.) Au bout, de ... quoi ? 5 minutes peut-être, il me coupe la parole (j'étais juste en train de lui expliquer notre situation, le cancer, ce genre détails sans importance). Et là, il me balance un :

"Ah ouais, alors vous, vous êtes du genre à vouloir tout contrôler !"

Parce que je parlais. Et pas Benoît.

Pardon, tu t'es cru dans Elle magazine ou bien ? Quelqu'un t'a demandé de me lire mon horoscope ? De me faire un test de personnalité ? Alors, oui, effectivement, JE prends la parole pour te parler de NOTRE situation qui, en l'occurrence, se déroule dans MON corps. Et accessoirement, je t'emmerde.

Bref, avec tout ça, notre cher (littéralement) spécialiste nous a clairement expliqué qu'il doutait sincèrement des chances d'une fécondation naturelle. ("Franchement, à votre âge, puis les traitements vont pas vous arranger...")

Nous avons quitté son bureau, relativement fiers qu'aucun de nous ne lui ait collé son poing dans la gueule. (Et maintenant, qui c’est qu’est content qu’elle ait un minimum de self-control la petite dame ?) Puis nous avons discuté de nos options. Oh, pas bien longtemps en fait, car nous étions d'accord. Il était hors de question de me faire subir de nouvelles tortures, tout ça pour une toute petite chance d'avoir peut-être quelque chose de viable dans 5 ans. Je t’entends déjà me dire que oui, mais on ne sait jamais, vous n'y êtes pas, on verra bien, peut-être que le toubib se trompe (ce serait un comble pour un type si arrogant !), que vous pourrez quand même, que la chimio t'épargnera, etc.

Non. Stop.

Je sais qu'à l'heure actuelle, s'il y a une chose que je ne me peux pas me permettre, c'est l'espoir. Plus encore, un espoir fondé sur des peut-être, des dans cinq ans et autres Paris en bouteille. JE NE PEUX PAS laisser cette porte-là entrouverte. Au moindre courant d'air, je ne pourrai plus faire autre chose que penser à elle, tout faire pour qu'elle ne se referme pas — surtout pas ! — quitte à m'y coincer les doigts.

Alors, cette porte j'ai décidé de la refermer de moi-même. Lentement, douloureusement, mais sûrement. J'ai fait le deuil de ce deuxième enfant dont j'avais commencé à parler à Benoît cet été, parce que les souvenirs de la première grossesse s'estompaient, parce que je me sentais enfin prête à accueillir un nouveau bébé au creux de mon ventre, au creux de nos vies. Mais cet enfant-là, ne sera jamais.

Alors maintenant, nous allons poursuivre notre chemin avec notre joli petit garçon plein de vie et de bisous qui pètent. Et notre famille, ce sera nous trois. Et ce sera bien.

Voilà.

Nous en sommes là.

Avec pour perspective, 6 mois de traitement, de cheveux qui tombent, de petites et grosses douleurs, de colère, d'épuisement, quelques larmes sûrement et entre deux, de nombreux combats, administratifs et financiers pour la plupart, tous autant de désillusions, de ras-le-bol et d'urine dans les violons. Bref, le grand ballet des émotions.

Et puis après, plus tard — mais bientôt quand même — le grand bleu, nager avec les baleines, sauter en parachute, goûter du caviar au moins une fois, retourner en Inde, au Canada, faire un détour par les Everglades, la route 66, la maison d'Elvis et peut-être aussi la Thaïlande.

Bref, après, après tout ça, après la bataille, ce sera le tourbillon des fantasmes assouvis, des rêves devenus réalité, de la sage folie.

La vie, quoi.

Amour, lumière et schokobons sur toi.

Ton Chafard

Ensuite on passera sur 3 cures de Taxotère, une espèce de bourrin qui carbure au napalm en brûlant tout sur son passage (et notamment toutes les muqueuses d'une extrémité à l'autre). MAIS qui est moins nocif pour le cœur que le FEC 100. (Ah, on vous z'avait pas dit ? Ah bah si ! C'est pas super-super pour le palpitant, quoi. Mais z'inquiétez pas ma p'tite Dame, on fera un écho cœur avant la première séance).

Donc là de suite, on va se concentrer sur l'essentiel :

DÉCOUVRE LE PROCHAIN ÉPISODE

Premier round

Chers Carambars, chères Carambettes,

Après quasiment 10 jours d'un suspense insoutenable, me revoici enfin en pleine forme (ou à peu près) et sans cheveux (nailed It !)

L'opération est passée elle aussi. Et ça ne s'est pas méga bien passé, car je (on ?) l'avais pris peut-être un peu trop à la légère. Du coup, je m'y suis mal préparée (stress, douleurs, réveil intubée, re-douleurs, re-stress, …), mais au moins c'est derrière moi… Je déteste avoir ce petit machin dans mon corps et ce tuyau dans la carotide qui me gêne chaque fois que je tourne la tête.

Pardon ? Ah au temps pour moi, le médecin me fait signe que ce n'est pas dans la carotide, mais dans la jugulaire. (Eh, mais t'es sérieux ? Tu crois vraiment que tu m'aides là ?)