4 - Les autres, cet enfer ordinaire
8 octobre - Tonton Sartre avait raison !
LE CHAFARD
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Ensuite, il a fallu l'annoncer à diverses personnes plus ou moins proches de nous
... La directrice de la crèche par exemple car nous allions avoir besoin de souplesse dans notre contrat de garde. Ensuite, mes collègues. Les amis, aussi. Et enfin, la famille.
Ah, la famille.
Pour mon père, ça a été assez ... surprenant, dirons-nous.
"Allez, c'est impressionnant parce que c'est la première fois qu'il t'arrive quelque chose d'un peu grave, mais tu verras, ce n'est pas grand-chose finalement. Une opération, peut-être même pas de rayons et ce sera déjà fini.
- Euh, si Papa, les rayons, ce sera obligatoire pendant un mois et demi environ.
- Oui, bon ben voilà et après ce sera fini. Mais c'est rien du tout. Ta vie va continuer après. Alors ce n'est pas la peine de t'angoisser et de dramatiser, tu verras, tu auras largement le temps de le faire après quand tu vieilliras !"
Il faut dire aussi que mon père vit avec la maladie de Charcot-Marie, du cholestérol et un diabète de type II. Tout comme sa sœur et tout comme son frangin, qui lui a en plus un cancer de la thyroïde récidivant. Ça aide un peu à relativiser les choses, hein ?
Jusqu'à ce que je réalise enfin que cela venait de l'énergie que je perdais à rassurer les autres qui projetaient sur moi toutes leurs peurs, toutes leurs angoisses. Sans nécessairement réellement chercher à savoir ce que moi je ressentais. Le pire ? Je crois bien que ce sont toutes ces histoires que les gens tenaient aaaabsolument à me raconter, au sujet de leur belle-sœur, voisine, cousine ou autre qui avait elle aussi eu un cancer du sein tu sais, mais qui s'en est "très bien sortie, d'ailleurs elle va super bien avec maintenant, tu verrais ça, elle n'a plus rien !" Quand ce n'était pas carrément l'histoire de Wonder Woman en personne, qui ELLE avait eu de la chimio et qui avait continué à bosser en même temps, ou encore celle qui avait perdu ses deux seins la pauvre, mais s'en était parfaitement remise, hein.
Genre.
Mais finalement, j'ai rapidement réalisé que plus je l'annonçais, plus mon moral de winner du début perdait de sa superbe.
À partir de là, je suis entrée dans une période de bon gros déni. J'annonçai donc au reste du monde mon cancer avec de bons gros guillemets et limite, le sourire et un nez rouge.
Bon OK, peut-être pas quand même, mais ouais, y'avait un peu (beaucoup) de cette histoire de non-légitimité. Je disais "cancer", mais de suite après je disais en rigolant que "Non, mais rien de grave non plus, hein ?!"
Je devançai les questions et plus encore les conseils et autres tentatives de réconfort. "Non, mais ça va, ça a été pris à temps. Et puis, ça se soigne super bien maintenant. Ça va le faire !"


Kikou, c'est qui qu'a un cancer ?!
Moi, quand on me parle du cancer de la belle-fille de la factrice du voisin


Alors j'ai relativisé.
Je me suis détendue. Limite, je ne me sentais plus légitime de parler de "cancer" suite à ça. Finalement, c'est vrai que c'est surtout le mot en lui-même qui fait peur parce qu'on a tous quelqu'un qui en est mort plus ou moins récemment. (Perso 8 personnes sur les 10 derniers enterrements que j'ai faits). Mais c'est vrai qu'il existe aussi une multitude de cancers à une multitude de degrés différents. Et moi, j'avais quoi déjà ? Une tumeur au sein, soit l'un des cancers le mieux connu et le mieux soigné. Et pris à temps encore ! Finalement, ce serait juste un petit coup de scalpel, trois rayons et puis s'en va. Mon père avait raison : ça ne valait vraiment pas la peine de dramatiser !
C'est quoi la blague au juste ? Parce que Machine a survécu, alors moi aussi ? (Mais qui a dit que j'avais peur de ne pas m'en sortir !) Parce que Bidule a continué à bosser sans sein, sans cheveux et sans dent, alors moi aussi ? (Et sans me plaindre en plus, faudrait voir à pas déconner.) Mais qu'est-ce que j'en ai à carrer de comment ça se passe pour les autres ? Et en plus des nanas que je ne connais même pas ! En quoi est-ce censé me faire me sentir mieux ?
Bref, j'ai commencé à fuir les gens, leurs histoires arrivées à d'autres et leurs phrases de réconfort toutes prêtes à vomir.
Et on va dire que le timing n'était pas dégueu parce que c'est pile à ce moment-là que j'ai eu mon rendez-vous avec mon chirurgien et que ma gentille petite crise de déni s'est prise une bonne grosse dose de réalité dans la gueule.
DÉCOUVRE LE PROCHAIN ÉPISODE
Bienvenue dans la réalité
(Ceci n'est pas une chanson d'Amadou et Mariam)
Ainsi donc, après une petite dizaine de jours passés dans le plus grand déni, j'ai rencontré mon chirurgien, sorte de rock star locale si j'en crois les réactions chaque fois que je mentionnais son nom. Raison pour laquelle nous l'appellerons le Dr Pop. (Oui, comme Iggy.)
[...]


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