11 - J'aurai pas dû

21 janvier - J'aurais pas dû défier le dieu de la chimio. Je crois bien qu'il est susceptible. Et rancunier avec ça. Et en plus, il a un humour à la con. Je te raconte ça ?

LE CHAFARD

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D'abord, tu crois que tout s'est passé comme sur des roulettes.

Tu es là, en train de baigner sur ton petit nuage : t'as fait ta séance de piquouses qui s'est relativement-pas-trop-mal passée, même que sur le coup, tu t'es sentie forte parce que ça va hein, t'es en terrain connu maint'nant. En plus, t'as aussi rencontrée des gens sympas, avec parfois des histoires laaargement pires que la tienne, tellement que t'en relativises. Et là t'es chez toi, tranquillou-bilou et ça va bien. Tu te sens bien. T'as même pu manger un peu. Léger, hein. On ne va quand même pas se faire avoir à chaque voyage !

Et puis, tu te retrouves face à toi-même un peu comme un rond de flanc à te dire : et maintenant, quoi ? Bah allez, maintenant, tu mérites une récompense : tu plonges dans ton canap en mode "binge watching". En plus, comme ça, ton esprit est occupé ailleurs, tu n'es pas "en attente" de ce qui va arriver. Et BAM, dans tes dents le psychosomatique : aujourd'hui, c'est No pasarán les effets secondaires ! Et face à ce plan de génie – faut dire ce qui est - tu te sens over confiante et pas peu fière aussi.

Et puis, tu commences à te souvenir.

L'inconscient, cette formidable machine à autosabotage, te remet soudain en tête TOUT ce que tu as pu apprendre de nouveau sur la maladie aujourd'hui. (Mais euh, je ne t'ai rien demandé d'abord !) Tu revois la tête blasée de ton oncologue pendant que tu lui fais le bilan des effets secondaires de la première cure [et sa réponse, épatante : "Ah oui… Il ne vous a pas manqué grand-chose en fait. Vous les avez presque tous faits dites-donc !" Là, deux réponses te viennent en tête : le sarcastique, mais toujours efficace "Bah, qui sait ? La prochaine fois, hein !" Ou le peut-être un peu moins subtil : "Putain, mais tu m'avais promis un léger manque d'appétit pendant 3 jours, pas de revivre le best of de mes pires mois de grossesse, connard !"[1]

Ensuite, tu revois tes sœurs de bataille dans la chambre de chimio, chacune connectée à sa machine, chacune avec son histoire. Il y a là l'adorable petite Mamie de quasi 90 ans qui a besoin d'être rassurée pour sa première cure, mais au caractère bien trempé. Et puis il y a Céline, la guerrière de même pas 30 ans, véritable maître Jedi de la chimio, qui en est à sa 10e cure, elle, avec son stade III, sa petite môme de 5 ans et ses chances de rémissions initialement estimée à 50%. Elle a pourtant la même chose que toi. Enfin, à la base. Une tumeur de grade III, qui prise à temps, aurait pu être contenue comme la tienne. Sauf qu'elle, est tombée sur une succession de toubibs un peu trop je-m'en-foutistes et gros adeptes du wait-and-see ma Chérie, là de suite, t'es trop jeune pour avoir un cancer.

Et là, tu repenses à ton médecin à toi, à sa réactivité, à la façon dont elle t'a immédiatement prise au sérieux et tu remercies secrètement ton ange gardien d'avoir mis cette perle d'humanité, d'empathie et de compétences sur ton chemin !

Et soudain, c'est le drame.

Ta bulle de bon gros déni derrière laquelle tu t'abrites soigneusement depuis le début de tout ça, éclate. Bon sang : 50% de chances de rémission. Elle n'avait initialement qu'une chance sur deux de s'en sortir !  Mais alors… ? On peut vraiment mourir d'un cancer du sein ? Et tout ça se joue à quoi ? Au moment où tu t'en aperçois ? À ton temps de réactivité ? Au médecin que tu "choisis" de consulter ? (Rappelons que dans un désert médical, la notion de choix est somme toute relative)

Tout d'un coup, tu te fais l'effet de quelqu'un qui viendrait de passer à travers un tir de mitraille sans une égratignure. Tu te sens à la fois terriblement chanceuse et… terriblement choquée. Mais rappelons-le, tout cela est inconscient, bien sûr. Là de suite, tu es en train de comater devant "Jane the Virgin" (#TeamMickael) et tu ne te doutes pas un seul instant que dans quelques minutes, la terrible machine à angoisse va se mettre en branle…

Parce que, dans quelques minutes, tu vas découvrir qu'en plus de tout ça, chez toi, les effets de la chimio ne sont pas similaires d'un cycle à l'autre. Non, non, non. Ce serait trop simple, voyons. Chez toi les effets de la chimio, ils se répètent ET… Ils se cumulent ! Tu te rappelles, le
" Vous les avez presque tous faits dites-donc !" de l'autre comique ? Ben les voilà, ils sont là, rien que pour toi, ils t'attendent bien gentiment et tu vas avoir trois délicieuses semaines pour bien en profiter… Attention, ça commence dans…

5…

4…

3…

2…

1…

[* Met "Jane the Virgin" sur pause*]

"Tiens, c'est bizarre, je crois que j'ai mon cœur qui est en train de s'emballer là…"

La prochaine fois nous parlerons de l'importance d'avoir un bon mental, tout en s'écoutant. Mais pas trop quand même. Oui, je sais, tout un programme.

D'ici là,

Amour, bachata et lumière sur toi.

Ton Chafard

[1] Pour ceux.elles que ça intéresse vraiment (les autres, passez votre chemin) : maux de ventre, vomissements et nausées force 12, hypersensibilité aux odeurs (oui, comme pendant la grossesse), saignement de nez, perte des cheveux (et ça fait super mal au cuir chevelu en plus !), chute des globules blancs et rouges donc immunodépression donc infection ORL donc antibio donc apparition de mucites et aphtes de la mort qui tue donc de nouveau des difficultés à s'alimenter. Résultats des courses : - 3 kg la première semaine dont un de récupéré malgré tout les semaines suivantes. Ah et bonne grosse fatigue bien sûr.

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Le jour où j'ai arrêté d'être courageuse...

Mes petits Pépitos,

Aujourd'hui, je vais te parler un peu chimio et beaucoup mental. Mais avant, je te demande deux secondes, j'ai un truc hyper important à aller faire.

se lève, va chercher une boîte de Pépitos, revient, un gâteau dans la bouche

(Désolée, mais tous les toubibs sont formels : faut écouter son corps et ses envies.) Non, mais en vrai, c'était des pas Pépitos, le chocolat passe plus trop ces derniers temps (changement de goût lié au traitement, blablabla…), mais j'aimais bien comme nom pour commencer l'article…

Bon alors, cette seconde chimio, on en parle ?